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LA REPRESENTATION DE SAINTS OCCIDENTAUX SUR LES ICÔNES

(début 2008)

Bonjour,

Je me suis promené avec beaucoup d'intérêt sur votre site. Catholique, je suis très sensible à la dévotion que nos frères orthodoxes vouent aux icônes. J'ai, avec ma femme, suivi des cours d'iconographie pendant 2 ans et cotoyé une paroisse orthodoxe. Les icônes que nous avons écrites ont toutes été bénies et sont disposées dans chaque pièce de la maison. Aujourd'hui j'essaie humblement de continuer seul, sans maître pour corriger mes erreurs, mais nos notes et le livre de René Leaustic (notamment) toujours à portée de main. Je suis très impressionné par le sèrieux de votre parcours tel que vous le présentez et d'autant plus surpris quand je lis que vous créez des icônes de saints occidentaux. Peut-on véritablement parler d'icônes? Certes, l'intention oecuménique est belle mais j'ai toujours lu et entendu que la création en matière d'iconographie byzantine était très limitée: quelques détails de fond tout au plus. J'avoue que cet attachement à la Tradition n'est pas pour me déplaire et j'ai, bien que je trouve votre démarche belle et positive dans l'esprit, tendance à penser qu'elle constitue une dérive pour beaucoup. Je serais très étonné que les autorités orthodoxes vous suivent facilement dans cette voie. Pour ma part, je pense, avec les orthodoxes, que l'iconographie est d'abord une prière et très accessoirement un art. Il importe d'en respecter le formalisme. J'espère que vous ne verrez pas dans ces réflexions une critique de ce que vous faites, j'aimerais seulement échanger qqs idées avec vous. Peut-être trouverez-vous le temps de me répondre.
Bien cordialement,
Didier

 

Cher Didier,

Je vous remercie beaucoup pour votre mail et il mérite bien que je prenne le temps pour vous répondre. Cela me permettra aussi à moi-même de clarifier ce point, parce que le choix que j'ai fait, même s'il m'est somme toute naturel, n'en est pas moins réfléchi, et j'ose le croire, respectueux de ce que j'ai reçu. Jamais je ne peindrai (vous remarquerez que je préfère utiliser ce terme, simplement parce qu'il existe dans la langue française, contrairement au grec ou au russe qui ne connaît qu'un mot pour exprimer ces deux actions que sont écrire et peindre), ni ne permettrais de peindre à mes élèves, des icônes douteuses du style d'une " rencontre de st Joseph et de la Mère de Dieu " sur le modèle de celle des sts Joachim et Anne, ou encore d'une Sainte Famille aux membres tendrement enlacés… L'art de l'icône a ses règles, qui sous tendent une saine théologie. J'aime dire son " langage ", avec sa grammaire, mais ce qui n'est pas tout à fait la même chose que le " formalisme " dont vous parlez, je pense.
Peindre une icône est pour moi aussi, rassurez-vous, d'abord et avant tout une prière. Et ce n'est pas parce que je peins des saints occidentaux, que soudainement ce faisant, je ne prierais plus et m'en tiendrais à une simple démarche artistique…. Il est aussi pour moi service dans l'Eglise. J'y reviendrai.
Si je vous comprends donc bien, vous trouvez choquant, au moins injustifié, de peindre des saints occidentaux en icônes. Je présume que vous voulez parler de saints qui ont vécu après le schisme de 1054, et qui ne sont de ce fait pas reconnus par les Eglises Orthodoxes.
Ce qui autorise donc déjà, vous en conviendrez avec moi, tous ceux qui ont vécu avant ce schisme, même s'il n'ont pas été représentés en icônes en Orient, parce qu'ils n'y étaient ni connus, ni donc vénérés.
L'icône étant l'art sacré des Eglises Orthodoxes, il serait donc incompatible d'y voir figurer des saints ne relevant pas de cette " juridiction ". L'argument ne manque pas de poids, je ne peux le discuter.
Mais je crois que les choses ne sont décidément pas aussi simples que cela. Tout d'abord, je vous rappelle qu'il existe des Eglises orientales rattachées à Rome, catholiques donc, qui ont la même " utilisation " des icônes que les orthodoxes. Ayant la même liturgie, cet art sacré y trouve naturellement sa place. J'ai donc déjà vu des icônes de saints occidentaux " post-schisme " peints dans ces Eglises, et qui peuvent remonter assez loin dans le temps (Je pense par exemple à une icône maronite de St Antoine de Padoue remontant au XVIIème siècle, et vue dans une exposition ces dernières années).

Mais la question se pose essentiellement dans la Tradition Catholique Romaine. L'icône étant essentiellement liturgique, créée dans et en vue de la liturgie, sa justification est plus délicate sous nos horizons. Et je parle là au-delà de la représentation ou non de saints catholiques, cela va beaucoup plus loin. Je pourrais ainsi vous posez la question à vous, comme elle s'est posée à moi pendant toutes ces années : en tant que catholique, comment justifiez-vous le fait que vous peignez des icônes ? Si pour vous l'icône est avant tout formellement orthodoxe, que pour vous l'avis des " autorités orthodoxes " est incontournable en la matière, que l'attachement à cette Tradition n'est pas pour vous déplaire (je cite vos propos), comment cela peut-il vous être possible à vous qui vous réclamez d'une autre Tradition, de peindre une icône sans vous sentir légèrement " schizophrène " ? Auquel cas, ça ne vous sera pas bien utile puisque la vie spirituelle a tout de même comme but, l'unification de l'être, en Dieu….Croyez bien qu'il n'y a de ma part aucun jugement ou même ironie. Je suis passée par là d'une certaine manière….
De mon côté, je n'ai finalement pas réussi à trouver une autre justification que celle de la foi. Je m'explique. Je crois profondément que l'icône témoigne tout simplement de quelque chose qui dépasse les frontières des institutions qu'elles quelles soient. Elle est un signe de la Miséricorde et de la Beauté de Dieu pour notre monde, aujourd'hui. Et le fait qu'on les ait redécouvertes dans notre temps en Occident, comme en Orient d'ailleurs un peu plus tôt, n'est sans doute pas un hasard. Je ne crois pas au hasard, je crois en Dieu. L'icône est signe du Royaume, ouverture vers Ce (Celui) qui nous dépasse infiniment et qui en même temps se fait proche de nous.
En cela, elle est je crois avant tout chrétienne avant d'être orthodoxe au sens strict, si je puis dire. Et c'est pourquoi je me permets, avec d'autres iconographes, de représenter des saints non orthodoxes, mais reconnus par leur Eglise, en l'occurrence Catholique (je ne ferai jamais des icônes avec des " personnalités " aussi respectables ou même " saintes " qu'elles soient, mais hors Eglises, et/ou non au moins béatifiées, comme cela existe hélas aux Etats-Unis dans certains milieux catholiques).
Je vous rappelle aussi que, lors de la crise iconoclaste, le pape a défendu le culte des icônes jusqu'à la mort, contre les empereurs byzantins et les " autorités orthodoxes " de l'époque, et que le VIIe concile œcuménique, portant sur les images saintes, a bel et bien été ratifié par Rome. Il est vrai que le schisme n'était pas encore passé par là…
Je crois (et je sais…) aussi que l'art de l'icône est un art vivant, fait au service du Vivant et de la communion des saints. Il est beaucoup plus divers que chaque orthodoxie veut bien le laisser entendre… Mes études m'ont permis de le constater. L'icône ne se résume pas à Byzance ou à la Russie : le Moyen Orient et l'Afrique (Coptes, éthiopiens) en sont riches aussi et quelle différence et quelle originalité ! L'art en Occident peut aussi être apparenté à l'iconographie, jusqu'au XIIème siècle environ.
De même il y a une évolution dans le temps, il y donc aussi création, même si cela reste dans des canons précis. Et les moments où les règles ont été plus strictement fixées, " pétrifiées " en quelque sorte, ont été des temps aussi de recul dans la vie de la foi. Signes de crispation, de peur…que l'on connaît encore de temps en temps.
Il n'existe pas non plus " une " Eglise Orthodoxe, comme il y a " une " Eglise Catholique… Chaque Eglise orthodoxe a sa propre conception de la mise en pratique de la Tradition commune, due à la culture dans laquelle elle s'enracine, et ses autorités ! Et c'est en soi tout à fait légitime, jusqu'à ce l'on dérive dans la définition identitaire, se positionnant alors tel contre l'autre, celui qui est différent ou pense différemment (même et surtout quand il y a très peu de différences !…).
J'ai rencontré plusieurs iconographes, de différents ateliers, et c'est parfois triste d'y trouver un tel esprit de clocher…Que d'anathèmes muets ou exprimés … Juste pour dire qu'un peu de recul est plutôt souhaitable…Surtout pour des catholiques…

Pour en revenir à votre souci, mes icônes de saints catholiques romains, je les ai revues et il y en a finalement assez peu. En général je peins les saints sur commande, et j'ai eu la chance de n'avoir à peindre que des saints dont la sainteté est suffisamment universelle (" catholique " ?!) pour n'avoir pas d'hésitation.
Il est vrai qu'il y a des orthodoxes pour ne pas reconnaître la sainteté d'un François d'Assise, où d'une Thérèse de Lisieux, mais je ne suis pas sure qu'ils soient majoritaires…(les reliques de la petite Thérèse ont été plutôt bien accueillies en Russie !).
Je crois que notre temps est à la reconnaissance de la sainteté de l'autre…C'est la sans doute le signe essentiel de l'avancée de l'œcuménisme.
Mais il n'est pas impossible que je sois un jour soumise à une hésitation. Ceci dit, les personnes qui me commandent des icônes sont généralement sensibles à la spiritualité qui la sous-tend, et donc peut-être au " type " de sainteté dont elle est à même de rendre témoignage.

Pour finir, je dois quand même vous avouer qu'après toutes ces années (27 ans !) à essayer de vivre une vocation hors norme d'iconographe au sein de l'Eglise catholique, je suis sur le point de me faire chrismer dans une Eglise Orthodoxe, une Eglise orthodoxe occidentale que j'ai eu la grâce de rencontrer et au sein de laquelle je pourrais mieux servir. Parce que l'iconographie est un service, un " ministère ". On ne peint pas pour passer le temps ou se faire plaisir.
C'est une Eglise assez ouverte et qui ne pratique justement pas la " discrimination " des saints, en sachant reconnaître les fruits de l'Esprit, et rendre grâce pour tout.

Voilà, j'arrive au bout de mon " apologie ". Mais je dois donc reconnaître en définitive que je n'ai pas trouvé de solution à la question posée plus haut…Je vais devenir orthodoxe, mais en restant au service de tous ceux qui souhaiteront une " petite fenêtre " pour leur donner un peu de lumière, et ceci par la grâce du Seigneur.

Avec ma fraternelle prière,

Agnès